Une ordonnance de désignation d’un expert prononcée avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile n’a pas eu pour effet de suspendre la prescription, l’article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi de 2008, qui suspend la prescription en pareille hypothèse n’étant pas applicable.
Les règles de prescription donnent lieu à des problèmes d’application de la loi dans le temps parfois redoutables. Cet arrêt du 28 mars 2018 ne nous démentira pas sur ce point. Ses faits méritent d’être relatés. Par un contrat du 25 mars 2005, une société a acquis deux machines, mais le fonctionnement de ces dernières ne répondant pas à ses attentes, elle a saisi un juge des référés aux fins d’expertise. L’expert, désigné par une ordonnance du 13 juillet 2006, a déposé son rapport le 30 septembre 2013. Il est permis de s’étonner d’un délai si long ! Le 7 janvier 2014, la société acheteuse a assigné la société venderesse en résolution de la vente et indemnisation de son préjudice. La société venderesse lui a opposé la prescription de sa demande pour cause de prescription ; elle obtient gain de cause, les juges du fond accueillant sa fin de non-recevoir. La solution est confirmée par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi de la société acheteuse.
La Haute juridiction approuve la cour d’appel de Riom d’avoir fait application des dispositions transitoires figurant à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Pour rappel, la rédaction de cet article est la suivante : « I. – Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d’une prescription s’appliquent lorsque le délai de prescription n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. II. – Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. III. – Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation ». Nous sommes ici en matière commerciale, où le délai de prescription, prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce, qui était initialement de dix ans est désormais fixé à cinq ans. On va donc appliquer, en application de l’article 26, II, de la loi de 2008, le nouveau délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi de 2008, qui commence à courir à compter de l’entrée en vigueur de la loi de 2008 (soit le 19 juin 2008). L’action n’est donc prescrite que le 20 juin 2013, mais tout de même un peu plus de six mois avant l’assignation de la société acheteuse (le 7 janv. 2014). D’où la fin de non-recevoir.
Certes, l’article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi de 2008, énonce, en son premier alinéa, que « la prescription est […] suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ». Tel était bien le cas en l’occurrence, un référé expertise ayant été sollicité par l’acheteur. Ce dernier se prévalait donc de cette disposition pour tenter d’obtenir à son profit la suspension du délai de prescription tant que l’expert n’avait pas rendu son rapport. Mais cette voie de droit était vouée à l’échec, car cette disposition ayant été instituée par la loi de 2008, elle ne pouvait s’appliquer à une situation antérieure à cette loi, sous peine de violer l’article 2 du code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
La cour d’appel avait d’ailleurs écarté l’application de cet article 2239 du code civil au nom de la non-rétroactivité de la loi nouvelle. La Cour de cassation l’a pleinement approuvée. Son attendu mérite d’être intégralement reproduit : « après avoir énoncé que les dispositions transitoires figurant à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile concernent les dispositions de cette loi qui allongent ou réduisent la durée de la prescription et non celles qui instituent de nouvelles causes d’interruption ou de suspension, comme celle créée par l’article 2239 du code civil, la cour d’appel en a exactement déduit que, la loi précitée ne pouvant rétroagir, une ordonnance de désignation d’un expert prononcée avant la date d’entrée en vigueur de ce texte n’a pas eu pour effet de suspendre la prescription, la mesure d’instruction aurait-elle été en cours d’exécution à cette date ». La solution n’est en réalité pas nouvelle (V. déjà Civ. 3e, 6 juill. 2017, n° 16-17.151, AJDI 2017. 839, obs. J.-P. Blatter).
Source Dalloz Actualité: https://www.dalloz-actualite.fr/flash/refere-expertise-prescription-et-application-de-loi-nouvelle-sur-prescription-dans-temps#.WtBLeGeCqUk